démarche

Dans mes peintures, la matière est le témoin d’un processus de construction d’une image dont les souvenirs, les questionnements, les émotions créent une expérience esthétique.

L’action consiste à graver, peindre et cacher et de nouveau à peindre et de nouveau cacher. Comme le fait la mémoire, je dévoile dans la toile des fragments de signes, de couleurs, d’objets et j’occulte les autres. Dans cette expérience de construction avec la matière et la couleur, des morceaux de souvenirs, quelques fois incongrus, une logique de fabrication de l’image semblable à celle qu’on trouve dans les murs de la ville est sous-jacente, incarnant ainsi ces superficies qui servent d’accueil à la couleur, aux graffitis, aux rêves, aux marques, aux mensonges qu’on estampe, qu’on cache et qu’on inscrit de nouveau.

Cette matière, que j’imprime avec des formes et des symboles récupérés de la mémoire de ma jeunesse vécue à Beyrouth, possède une série de textures, d’extraits d’écriture, de sortes de blessures et de déchirures qui sont la métaphore d’un conflit d’appartenance et d’une quête dans le territoire de l’identité.

Il s’établit, dans cette recherche, un affrontement dialectique entre les souvenirs, les émotions et les nouveaux événements. Ce dialogue définit les actions qui affectent la matière, les liaisons qui s’établissent entre les couleurs, les textures et les symboles toujours masqués. Ainsi, la peinture devient une action avec sa propre histoire laquelle se développe à travers ma pratique picturale.

Procédé

Le procédé qui sous-tend la création de mes peintures découle d’une esthétique de la trace. Il y a deux phases à l’œuvre : l’une est complètement contrôlable, tandis que l’autre découle d’un jeu de hasard assez poussé. C’est tout le jeu du hasard qui fait surgir la texture de fond comme traces qui signifient le temps. C’est une manière de cacher et de couvrir pour faire des signes porteurs d’une ambiguïté entre leur statut de porteurs de sens, et leur statut de signes illisibles.

On utilise deux toiles collées, et par un processus d’arrachement l’une reste et l’autre part. Celle qui reste est porteuse en trace de celle qui part et devient son complice. L’arrachement de la matière devient la métaphore de l’arrachement de l’espace de la culture d’origine. La matière devient les traces d’un procédé humain, d’une charge émotionnelle de l’histoire, d’une recherche de l’origine.

La Matière devient un moyen d’expression parce qu’elle est l’’infrastructure de la relation entre l’homme et la culture, l’histoire vécue et la mémoire. L’espace de la toile est une surface délimitée qui devient un territoire ou l’intérieur et l’extérieur impliquent une référence aux éléments architecturaux qui encadrent notre quotidien. Murs, portes, fenêtre deviennent des métaphores d’une peinture a la recherche d’une unité fondamentale.

Code barre

Le code barre est désormais l’icône omniprésente de notre monde d’aujourd’hui. Il est partout, sur tous les produits et les objets de notre vie de tous les jours.  Il sert à identifier et à rendre unique chaque article. Même nous, en tant qu’individus, nous sommes identifiés par le code barre de notre passeport, par exemple. Etiquetés comme nous le sommes, nous accordons au système un accès à l’historique de nos activités. Par le biais des médias de toutes sortes, les gouvernements et les entreprises privées du monde entier nous poussent à la consommation dans une sorte d’engrenage dont nous faisons les frais. Notre identité individuelle est façonnée par l’environnement socio-culturel, le milieu familial, l’entourage et l’endroit dans lesquels nous grandissons. Elle évolue en fonction des expériences personnelles et des déplacements sociaux. L’identité civile (identification technique) est nécessaire dans un ordre civil pour gérer notre société en tant que groupe à l’intérieur de frontières bien déterminées, dans un espace géographique qui délimite et identifie notre territoire.

L’identité civile, telle qu’elle figure sur notre certificat de naissance, ne peut, à elle seule, déterminer notre appartenance sociale. Elle n’est pas nos origines. Notre identité découle de nos souvenirs à travers tous nos sens. Nous sommes nos souvenirs. Ce n’est pas notre terre natale qui nous définit car nous sommes l’ensemble des terres que nous avons habitées et celles qui ont rempli nos sens. Chacune d’entre elles est un fragment de notre essence. Elles font de nous des êtres uniques. Le code barre miroir, est le reflet de notre identité fragmentée. Face à lui, le spectateur est confronté à sa propre image et à l’identité politico-commerciale normalisée qui lui est imposée. Il peut assimiler ou poser des questions, réfléchir ou mener ses propres investigations sociales. Notre destin, en tant qu’êtres humains, est d’être sans cesse confrontés  au mystère, à l’inconnu et à la nécessité de nous réinventer.  

Joseph Chahfé